De la même manière que la reine de la nuit, voici une autre nouvelle sur la prévention...
Mon pare brise est un cimetière.
Le moucheron voletait tranquillement, inconscient, au dessus des eaux saumâtres de l’étang. C’est à peine si il sentit l’air vibrer au dessus de lui, les pattes puissantes d’une libellule s’accrocher à son flanc, et sa vie s’éteindre alors qu’il perdait la tête.
La libellule se posa sur un ajonc et étendit ses ailes, qui miroitèrent sous les rayons du soleil. Ses yeux aux multiples facettes discernèrent une nouvelle ombre sur les eaux de l’étang, indice d’une autre proie. Elle n’avait pas de problèmes, la vie était si facile ici… Ses victimes venaient quasiment d’elles-mêmes se perdre dans ses pattes et y mourir. Elle reprit son envol, fondit sur l’insecte et le dévora sans plus de manières.
Prise d’une envie d’exploration, elle accentua ses battements d’ailes, prit de la hauteur, et s’éloigna de l’étang. Près de cette tache d’eau se trouvait un champ de blé, et elle s’amusa à voleter au milieu des tiges. Pour la première fois de sa courte vie, elle vit une souris, qui consciencieusement, grignotait les épis de blé mûrs. Mais l’animal lui apparut un peu trop grand, et elle s’en éloigna prudemment.
Elle traversa le champ, et soudain, déboucha au dessus d’une étendue vide. Large, mais surtout très longue… Elle se tourna dans toutes les directions, mais aucune raison ne semblait pouvoir expliquer l’existence d’un tel vide entre deux champs de blés. Ne parvenant pas à trouver une solution, elle choisit d’attendre, voir si il se passerait quelque chose, et s’installa en vol stationnaire au beau milieu de ce ruban insolite. Un grondement de tonnerre ébranla l’air, et une forme indistincte apparut au bout de l’étendue. Tous ses sens lui hurlaient de fuir, mais elle n’en fit rien, persuadée qu’elle était beaucoup plus rapide que la chose qui s’approchait. Elle voulait savoir… Elle voulait tellement savoir ce que c’était… Elle n’avait pas peur… Elle sentait qu’elle pourrait fuir au dernier moment… Elle commençait à distinguer clairement quelques contours, et bien qu’elle ne sut pas du tout ce que c’était, elle fut fascinée par sa rapidité. Sa rapidité… Enfin, dans ce qui aurait pu être un hurlement de terreur, elle consentit à obéir à ses instincts. Le battement de ses ailes s’accéléra, elle amorça un demi-tour, mais elle ne le termina pas. Sa dernière vision fut celle d’un immense espace transparent, derrière lequel deux êtres immenses se cachaient. Elle venait de périr, écrasée par la chose…
“Bon sang, mais c’est pas possible !!!”
Sur le pare-brise de la voiture s’étalait une tâche peu ragoûtante, gênant le conducteur dans sa visibilité de la route.
“Fichus insectes… ”, murmura t’il en actionnant les essuie-glaces. Mais l’action n’eût pas l’effet escompté, au contraire, la tache s’étala dans une courbe harmonieuse, faisant enrager le conducteur, et rire sa passagère.
“Ton pare-brise est un vrai cimetière, papa !!”, dit elle en éclatant de rire devant le teint que prenait la figure de l’homme. Rouge de colère, il ne semblait presque plus faire attention à la route, uniquement à cette tache obsédante, et surtout, très envahissante…
Il tira à lui une manette, et les essuie-glaces se remirent en marche, alors qu’une giclée de liquide nettoyant à la senteur d’alcool était projetée sur la vitre. Le cadavre de l’insecte se disloqua légèrement, mais resta en place.
“Arrête toi au prochain village, on en profitera pour le laver complètement, il en a bien besoin…”
Et c’était vrai : de nombreux cadavres de ce qui aurait dû dans une vie antérieure être mouches, moustiques, libellules et autres insectes insignifiants ornaient de façon inquiétante le pare-brise.
“Bah, tu as raison…”, dit-il en abandonnant la partie. “Parle moi plutôt de ce que tu as fait chez ta mère…”
La jeune fille se pelotonna sur son siège, ramenant ses genoux à elle, posant ses chaussures sur le siège. Son visage affichait désormais une moue dubitative : elle n’aimait pas discuter de ce genre de choses avec son père.
“Alors ? Tu n’as rien fait ?”
De toute évidence, il voulait simplement entretenir la conversation, afin de ne pas donner l’impression de se désintéresser de sa fille.
D’une voix morne, elle commença à raconter lentement ses sorties au bar avec ses amis d’enfance, les visites que sa mère lui avait imposées,… Elle lui fit remarquer qu’ils s’approchaient d’un village, et qu’il roulait bien trop vite, mais il ne lui prêta pas attention, et lui demanda de continuer. Elle n’avait pas grand chose d’autre à dire… Ah, si… Elle enchaîna avec la rencontre du nouveau mari de sa mère :
“Ta mère s’est remariée ?!?!?”, dit-il, complètement étonné, détachant pour quelques secondes son regard de la route, enfonçant inconsciemment son pied sur l’accélérateur.
Un choc ébranla la voiture, secouant ses passagers. Le père pila, alors que sa fille, hurlant, s’accrochait désespérément à la portière de la voiture. La voiture s’arrêta dans un crissement de pneus, à peine quelques mètres de l’endroit où avait eu la collision. Dans l’action, son père avait involontairement actionné les essuie-glaces, et elle entendait la rumeur plaintive du plastique sur le verre du pare-brise
“Surtout ne regarde pas !!”, hurla le père à l’adresse de sa fille, prostrée sur son fauteuil. Malgré l’ordre de son père, elle leva la tête et écarta les quelques mèches de ses cheveux qui s’étaient aventurés au devant de ses yeux. Le spectacle qui s’offrit à elle déclencha une réaction incontrôlée : du fond de ses entrailles, un hurlement s’éleva, et lorsqu’il parvint à franchir la barrière de ses lèvres, il s’éleva, traversa la fenêtre, et vint s’ajouter à celui d’une femme qui courait dans la direction de la voiture.
Sur le pare-brise était étendu le cadavre d’un enfant. Un petit garçon, qui tenait encore dans ses mains une balle de caoutchouc. Les essuie-glaces, toujours activés, passaient et repassaient frénétiquement sous le corps mou, étalant sur la surface de verre le sang qui s’écoulait régulièrement de sa bouche.
Le père eut une pensée fugitive pour la phrase que sa fille avait prononcé, riant, à peine quelques kilomètres avant, et, choqué, il laissa ses lèvres et sa langue chuchoter ces quelques mots…
Mon pare-brise est un cimetière.
Bon, y a des trucs à revoir, mais...
Perso, je l'aime assez, j'avais l'intention de la faire parvenir à un centre de prévention routier, mais plusieurs personnes m'ont dit que c'était trop direct.