Voila une vieille nouvelle retrouvée aussi au fond de mon bureau... Elle date d'avant l'euro puisque j'y parle d'écus
et était écrite sur du papier à carreau... Elle date donc de mes études(c'est loin
)
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Dreamland…
Illusion parfaite où nombre d’êtres humains se laissent voluptueusement abuser le temps d’un rêve… au prix de quelques écus.
Une gélule miraculeuse avalée et vous créez votre rêve.
Peu de tabous, pratiquement tout permis.
Le rêve devenu Loisir n°1 de la société du 22e siècle.
Plus le rêve est long, riche d’images et de situations, plus il est coûteux. Plusieurs catégories : Travail, amour, familles, sexe, une infinie de spécialités. La possibilité d’intégrer ses proches dans les personnages.
Je parcourais les rayons du DreamMarket, lisant au hasard plusieurs étiquettes : « Une fessée à votre patron » 5 écus, « Rencontre avec le prince Charmant » 10 écus, « une journée avec Napoléon » 10 écus, « une nuit torride avec Superman » 30 écus. Des milliers de possibilités à perte de vue. Rien de bien méchant, le pire était ce qu’on trouvait sur le marché noir : viols , meurtres, tortures…
Notre société n’était plus qu’une réalité ennuyeuse où chacun ne vivait que pour aller rêver. Je m’emparais d’une capsule contenant une gelée bleu irisée « Nouveauté : devenez un dauphin et visitez les profondeurs de l’Atlantide » 40 écus.
Je m’emparais aussi de 2 capsules neutres beaucoup moins chères. Elles avaient été les premières en commerce, dans ce rêve blanc, on créait vraiment notre rêve mais bien sûr les pouvoirs étaient limités et la plupart des gens, étant en manque cruel d’imagination, un nouveau marché avait été créé : celui des rêves scénarisés.
A la caisse, j’assistais à l’arrestation musclée d’un drogué du Dream. Les poches remplies de gélules, il hurlait tel un dément, quémandant une seule gélule.
Certains se droguaient au Dream, passant des journées, des semaines entières dans l’illusion. Beaucoup ne revenaient pas. Pour les autres, le retour à la réalité était dur, surtout quand il n’y avait plus de quoi payer sa dose.
Une législation avait été récemment votée, chaque personne n’avait le droit qu’à 15 rêves par semaines. Un système d’empreintes digitales était désormais utilisé.
Depuis, une foule de drogués, jusque là inconnus, se révélait, en manque d’illusion. Deux solutions pour eux ; le vol ou le marché noir.
Un système de cure de désintoxication Dreamland était en préparation.
Je rentrais chez moi, il était 20h et presque personne dans les rues, tous à dormir, à rêver…
Le rêve du dauphin fut intéressant mais très limité au niveau des déplacements. On ne pouvait franchir les barrières du Dreamland et je fis vite le tour de l’espace créé pour le rêve. Un poisson dans son bocal finalement.
Comme toujours, le réveil laissait un goût écoeurant dans la bouche. Je buvais un verre d’eau dans la salle de bain et m’observais un instant. Que faisais-je dans ce monde ? Que faisions nous tous ? La réalité n’était plus que pour nous secondaire et les rapports humains en étaient sérieusement affectés.
Je pris une gélule neutre et tissais mon rêve. Une fois que je fus sûre de ne rien pouvoir y ajouter, je maintins le plus longtemps possible ma vision avant qu’elle n’éclate comme une bulle de savon, me réveillant une seconde fois. C’était le défaut majeur du Dreamland, le réveil était brutal et donc frustrant.
Une anecdote me parut amusante au premier abord le lendemain au bureau. Une de mes collègues, Mirana, se précipita dans les bras du patron, l’embrassant goulûment devant tout le monde. Celui-ci, choqué (et de plus marié) la repoussa vivement. Elle fit alors une véritable scène, ne comprenant pas sa soudaine froideur après leur nuit d’amour ensemble. Elle mit du temps à réaliser que cela n’avait été que l’une de ses courtes escapades au Dreamland.
Le rêve se mêlait à la réalité parfois, ce qui était le plus inquiétant et le plus dangereux pour notre société.
Je travaillais à la société Dream Society depuis 1 an. C’était la première entreprise mondiale, même si les nouvelles lois ne favorisaient pas sa production.
J’étais au courant de la dernière nouveauté préparée depuis des semaines : « Rencontre avec Dieu ». C’était un véritable mystère. Comment les ingénieurs de Dream Society avaient-ils pu le représenter ? Quel scénario pourrait-il plaire à la fois aux croyants et aux athées ? Les médias extrapolaient sans cesse mais pour une fois, ils n’avaient aucunes indications.
Maman me visionna. Son opulente chevelure rouge attira mon attention, comme toujours.
- Chérie, ça va toujours à Dreamcity 36 ?
Avais-je oublié de vous préciser le nom de ma ville ? Ou de toutes les villes contenant une entreprise Dream…
Je ne m’aperçus pas tout de suite de son teint cireux, de ses yeux zébrés de vaisseaux sanguins éclatés.
- Ma chérie, j’ai épuisé mon stock de Dreamlands…Tu ne pourrais pas t’arranger…
- Non maman, à présent c’est impossible.
- Donne-moi un peu de ton stock alors, juste deux ou trois pour le week end…
- Non ! Moi aussi j’en ai besoin !!!
C’était la première fois que je reconnaissais ma dépendance…notre dépendance à tous…
Un peuple. Une humanité entière asservie par une nouvelle forme de drogue.
Quelques jours plus tard, un accident déclencha tout.
Après une nuit mouvementée avec un bel apollon grec (jeune folie que je m’étais offerte pour mes 20 ans), j’allumai le visio. Un flash spécial m’apprit le drame : le président de l’Union Humaine pour la Paix venait d’assassiner son épouse et sa fille après s’être fait un cocktail de Dreamlands illégaux. Le personnage le plus important de la planète était un drogué et de plus un tueur ! Conformément à la loi universelle, il avait été plongé immédiatement dans un coma profond.
Un vent de panique et de stupeur s’empara du monde. Le pire fut quand on su que le fameux cocktail ne comportait que deux Dreamlands hyper violents. Une mauvaise recette et le rêve devenait réalité. Le rêve devenait cauchemar.
Le marché noir fut facilement et vite démantelé, ce qui confirma mon opinion que la police y était associée depuis longtemps.
La consommation de gélules ralentit nettement et les instituts de « désindreamation » affichèrent complets. Ma société s’inquiétait, retardant donc la sortie de « Rencontre avec Dieu ».
La prise de conscience du danger des Dreamlands ne dura qu’un moment. Au bout de six mois, la consommation avait repris normalement.
Ce soir du 24 décembre, seule, en chemise de nuit, j’observais les 3 gélules que je prendrais cette nuit.
La première m’emporta dans un luxueux chalet de montagne, décoré d’ornements de Noël où toute une famille fêtait joyeusement l’évènement.
La deuxième était une nuit coquine avec le fils du Père-Noël. Parfois ridicule mais assez excitant.
La troisième était la fameuse nouveauté sortie dans les bacs le matin même… « Rencontre avec Dieu ».
Qu’y ais-je vu ? Je ne pourrais vous le dire car ce fut cette nuit là que je ne me réveilla pas.