Qui ne connaît pas Narcisse et son célèbre reflet ?
Toujours sous le charme des légendes grecques, en voici une connue, certes, mais que j'aime beaucoup...
Chacun sait que Zeus, le maître de l’Olympe, adorait la compagnie des femmes, qu’elles soient simples mortelles, nymphes ou déesses. Héra, sa femme, n’appréciait que fort peu l’attitude de son époux, et le surveillait sans cesse. Zeus, qui connaissait bien des ruses, avait chargé Echo, une nymphe de la suite d’Héra, d’une mission peu ordinaire : chaque fois qu’il courtisait une femme, Echo tentait de distraire la déesse par des chants et d’incessants bavardages. Cela réussit quelques temps, jusqu’au moment où Héra s’aperçut du stratagème. Folle de rage, elle priva sur le champ Echo de la parole, avec laquelle elle l’avait trompée. Pire, Héra la condamna à répéter le dernier mot qu’on dirait devant elle.
-Ton langage sera celui du perroquet ! hurla-t-elle.
-Roquet !Roquet ! répondit la pauvre Echo, qui trouvait la sentence bien injuste.
Mais que pouvait-elle contre Héra la toute puissante ? Même Zeus tremblait devant ses colères. Elle accepta donc son infirmité.
Un jour qu’elle vagabondait dans les montagnes, là où le silence est roi, elle rencontra un jeune homme, qui chassait seul. Il marchait d’un pas léger, l’arc en bandoulière, le regard fixé loin devant lui. En un instant, elle en tomba éperdument amoureuse. S’arrêtant au bord du chemin, elle fit au chasseur un signe de la main. Intrigué par cette jeune fille qui l’appelait, il la rejoignit.
-Je m’appelle Narcisse, dit-il. Quel est ton nom ?
-Nom… Nom… Nom…ne put que répéter Echo.
Le jeune homme la regarda, surpris. Peut-être n’avait-elle pas compris. Il répéta :
-Ton nom, je veux savoir ton nom…
Et l’autre de répondre :
-Nom… Nom… Nom…
Narcisse soupira et passa son chemin. Cette créature était décidément incompréhensible. Et comme Echo, épouvantée à l’idée de le laisser partir, lui agrippait le bras, il s’en débarrassa d’un coup d’épaule.
Dans les jours qui suivirent, Echo fit d’autres tentatives, essayant de faire comprendre à Narcisse combien elle l’aimait, combien désormais sa vie lui était précieuse. Mais elle ne faisait que répéter, encore et toujours, le dernier mot qu’elle entendait. Parfois, elle tentait de s’exprimer par gestes, mimant avec ses mains le mouvement d’un cœur qui bat. Le jeune homme ne s’y intéressa pas plus.
Désespérée, Echo s’en fut cacher sa douleur au fond d’une caverne. Au plus profond des ténèbres, elle se mit à pleurer. Elle pleura sur elle-même, son amour brisé, sur Narcisse perdu, elle pleura pendant des jours et des nuits. Sa douleur finit par l’engloutir et bientôt, elle se changea en rocher. Il ne resta d’elle que sa voix, qu’on entend encore lorsqu’on parcourt la montagne aujourd’hui.
Narcisse ne sut jamais ce qu’il advint d’Echo. Mais les dieux, qui avaient assisté à la triste aventure, voulurent punir Narcisse d’avoir ainsi méprisé l’amour d’Echo. Car malgré m’étrange infirmité de la jeune fille, Narcisse aurait dû comprendre l’amour qui la dévorait et y répondre, même pour le repousser. Il n’en avait rien fait. L’indifférence qu’il avait montré était sans excuse. Les dieux lui trouvèrent un curieux châtiment : ils rendirent Narcisse amoureux de sa propre image.
Voici ce qui arrivé : un matin, Narcisse alla chasser dans la montagne, comme à l’ordinaire. Il poursuivit longtemps un sanglier, qui lui échappa. Epuisé, déçu, la poitrine en feu, le jeune homme s’allongea près d’une source pour reprendre ses forces. Un peu d’eau fraîche lui ferait du bien, songea-t-il. Il se pencha sur l’onde calme et limpide, dont la surface ressemblait au tain d’un miroir. Et il vit un jeune homme d’une grande beauté, un jeune homme qui le regardait fixement. Il tendit sa main vers lui, l’autre fit de même. Il sourit, l’autre lui sourit aussi. Il en fut tout de suite amoureux, sans comprendre bien sûr qu’il s’agissait de son reflet dans l’eau. Sans comprendre que venait de s’accomplir la punition des dieux. Il en fut si amoureux qu’il resta là, des journées entières, à contempler à l’infini ce visage précieux.
Il lui parlait, lui expliquait son amour. Mais le reflet dans l’eau ne pouvait lui répondre, et Narcisse, peu à peu, fut pris d’une effroyable mélancolie. Il en mourut un soir, et sa main retombant dans l’eau troubla pendant quelques secondes le reflet de son propre visage aux paupières fermées.
Les dieux métamorphosèrent son corps en fleurs blanches. On les appelle aujourd’hui de son nom, les narcisses, et au bord des sources vives, vous en trouverez par brassées.
Ainsi l’écho résonnant dans les montagnes et les narcisses plantés au bord de l’eau parleront longtemps encore des amours impossibles d’une nymphe et d’un chasseur.
Tiré de Mille ans de contes, mythologie