J’ai peur, peur de ces gens anonymes, qui ne regardent plus personne, qui vivent dans leur monde d’antennes branchées sur la solitude, qui n’esquissent plus un sourire, qui ne vivent presque plus, ces gens qui fuient vers un avenir anémié, frustrés de la vie et de ses mille richesses.
J’ai peur, je suis seule, encore une fois, et je sais que tu es loin, avec celui qui partage ta vie maintenant.
Plus personne à qui me confier, à qui murmurer mes inquiétudes, tu n’es plus là pour me réconforter.
J’ai compris aujourd’hui que tu étais sur un autre chemin, je n’étais qu’un de tes souvenirs, une page de ta vie, qu’IL a su tourner bien trop vite.
Y puis je vraiment quelque chose ?
La vie est un itinéraire, il n’y a pas de logique, juste l’envie de vivre chaque instant comme un ultime trésor, sans penser à celle qu’on quitte, à celui qu’on rencontrera.
Jamais un mot plus haut que l’autre, des années de bonheur, de partage, de complicité, et cette envie d’avoir un enfant à toi, juste l’envie d’être une mère à part entière.
Chacun fait quelques pas vers son destin, avant que la vie ne le rattrape et l’entraîne dans cette étrange spirale où joies et peines s’emmêlent, se tissent, se lissent, s’apprivoisent jusqu’à former le fil d’une existence, heureuse ou non, toute saupoudrée d’un ineffable soupçon d’inconnu.
Destin, hasard, fatalité, les arpèges se chevauchent l’un, l’autre, portées qui cherchent une clé, notes cristallines qui musardent au gré de nos jours, en quête d’harmonie. Et puis un jour, tel un chef d’orchestre, une rencontre semble tout ordonner, comme un diapason exquis, qui épouse le métronome de notre cœur, un écho à l’unisson.
Aurore boréale qui illumine tes jours, rien n’est vraiment comme avant, tout semble sublimés, et tu ne vois pas les sombres nuées qui obscurcissent celle que tu quittes.
C’est vrai qu’il est beau, attentionné, qu’il a une bonne situation, c’est vrai que tu es encore si jeune, c’est vrai qu’il partage l’envie de créer une vie avec toi, c’est vrai que tout est vrai !
Mais lorsque tu me regardes, voulant d’un geste dérisoire essuyer les larmes muettes qui inondent mes joues, je sais que tu ne me vois déjà plus.
Tes lèvres qui me frôlent encore une fois, partageant ces gouttes iodées de tristesse, et ces serments échangés sur le ton d’une étrange confession.
Mais dans tes yeux, ma fille, tant de bonheur !
Ai je le droit de résister ?
Ta vie est devant toi, il faut que tu ailles où ton cœur te mène, sans te poser d’autres questions, juste cette peur de me retrouver seule, juste l’envie de te retenir, juste t’aimer encore un peu !
Tu es si belle dans ton tailleur blanc, rayon immaculé qui irradie la pièce tamisée d’une aura sublimée.
Je te regarde partir, tes longs cheveux qui ondulent sur tes épaules, ésotérique sensation qui semble serrer mon cœur, j’étouffe, j’ai mal, et je ne te retiens pas.
Tes talons qui résonnent sur l’escalier de pierre, claquement de portière, un moteur qui t’emmène trop loin, et déjà ce vide immense qu’il me faut affronter.
Sur un air de smooth jazz, je pense à toi, ce soir je suis seule, et tu me manques terriblement.
Tant besoin de ton sourire, tant besoin de tes moues, tant besoin de ton regard, larmes de bonheur qui semblent si lointaines.
Es tu seulement heureuse ?
Tout me semble sans saveur depuis toi.
Et ces gens qui passent et qui ne sourient plus, si loin de nos folles crises de fous rires, toi qui savais transcender de simples courses rébarbatives en véritables récréations. Je t'ai offert la vie, tu m'as offert de la partager et de la vivre magnifiquement.
J’ai peur, peur de la vie sans toi, privée de tes repères, peur de cet inconnu qu’il me faut affronter une nouvelle fois, peur de ne pas m’en sortir, peur de ne plus sourire, peur de finir, moi aussi, branchée sur les antennes de ma solitude !
A très vite ma chérie, tu me manques.
Ta mère
Gaëlle